« Montréal, Whoreganize! ». La mobilisation du CATS pour la reconnaissance du travail du sexe

Par Maud Simonet et Claire Vivés

paru en janvier 2024

Le CATS, comité autonome du travail du sexe se mobilise pour la décriminalisation du travail du sexe et sa reconnaissance pleine comme travail. Après une première rencontre organisée à l’automne 2019 dont nous publions le tract ci-dessous « Montréal, Whoreganize ! », Adore Goldman publie le texte « travail du sexe, répression et pandémie » en juin 2020 (https://www.revue-ouvrage.org/travail-du-sexe/). Soulignant combien la pandémie a servi de prétexte pour accentuer la répression contre les travailleur·euses du sexe (TDS) elle en appelle à leur organisation politique. Elle écrit alors :

« Cette crise nous rappelle ainsi l’importance de reconnaître les revenus des TDS comme un salaire et la nécessité de leur donner accès aux droits du travail, ce qui passe d’abord par la décriminalisation. Dans le contexte où travailler revient à s’exposer à un virus extrêmement contagieux, on voit bien que la seule façon de refuser d’effectuer ce travail est d’être payé·e pour ne pas le faire. Car, sans revenu de remplacement, c’est majoritairement le travail qui expose au virus, que ce soit dans l’industrie du sexe ou dans d’autres secteurs de la reproduction sociale, comme la santé ou l’alimentation. S’identifier comme travailleuse·eur·s ne signifie donc pas de défendre ce travail. Au contraire, c’est le point de départ pour le refuser ».

Cette dernière phrase fait évident écho à la dimension protectrice du salaire que la crise sanitaire a bien mise en lumière, à cette « sécurité que procurent les formes de droits salariaux les plus avancées : ceux précisément où la rémunération n’est pas déterminée par le marché des produits ou l’occupation au jour le jour d’un poste de travail »[1]. Mais elle donne à voir également l’inscription de la lutte du CATS et la revendication d’un salaire qui lui est associée, dans la filiation des féministes marxistes du mouvement international du Wages for Housework qui ont pensé le travail du sexe comme inscrit dans le travail reproductif. Cette phrase reprend en effet, au mot près, les propos de Silvia Federici dans son célèbre article de 1975 « Wages against Housework »[2], dans lequel elle explique notamment que demander un salaire pour le travail ménager, c’est aussi demander un travail contre celui-ci. Certes le salaire au travail ménager tel qu’il est revendiqué par ces militantes féministes d’alors, Silvia Federici, Mariarosa Dalla Costa ou Leopoldina Fortunati, est bien sûr un salaire pour la rémunération du travail domestique, et plus largement de reproduction de la force de travail, travail reproductif assigné et « volé » aux femmes par le capital diront ces féministes. Mais il est dans le même mouvement, et sans doute avant tout, un salaire contre le travail domestique puisqu’il vise, à terme, à le faire disparaître dans sa forme capitaliste actuelle. Federici écrit ainsi que :

« demander un salaire au travail ménager ne veut pas dire que si l’on est payée on continuera à faire ce travail. Cela veut dire précisément l’inverse. Dire que l’on veut un salaire au travail ménager est le premier pas vers le refus de le faire, parce que la demande d’un salaire rend notre travail visible, ce qui est la condition la plus indispensable pour commencer à lutter contre, à la fois dans son aspect immédiat comme travail domestique et sous son caractère plus insidieux en tant que féminité »[3].

Le comité autonome du travail du sexe a été initié à la suite des mobilisations pour la grève des stages et le salaire étudiant, elles aussi inscrites dans cette même filiation féministe. Adore Goldman et Melina May, deux membres du CATS ont d’ailleurs écrit la postface de l’ouvrage « Grève des stage, grève des femmes »[4] des Comité Unitaire pour le Travail Etudiant, les CUTE, qui ont construit et porté cette grève et cette revendication d’un salaire étudiant. Intitulée « Faire la pute, c’est aussi travailler »[5], cette postface réinscrit « la lutte du CATS, comme celle des CUTE, dans le sillage des luttes féministes contre le travail gratuit et pour la reconnaissance du travail reproductif »[6]. CUTE et CATS partagent une même conception de la mobilisation : la lutte contre un déni de travail et « la revendication d’un statut de travailleuse et les droits et protection qui l’accompagnent ». Pour reprendre une formule de Louise Toupin dans le même ouvrage, ces organisations sont stratégiquement les « filles du salaire au travail ménager » au sens où elles élaborent une « théorie conçue pour l’action » et la diffusent comme un « outil pour les luttes »[7], par l’intermédiaire notamment de journaux propres au mouvement (des « zines ») comme CUTE Magazine[8] ou CATS Attaque ![9] qui réunissent dans des supports très esthétiques des textes de nature variée (témoignages, entretiens, poèmes, textes d’analyse…). Les formes de la mobilisation (comités autonomes de travailleur·ses et absence de porte-parole identifié), ses revendications (un salaire), ses médias (écriture, publication et diffusion de textes très travaillés) sont ainsi subordonnés à l’objectif de reconnaissance de la travailleuse comme travailleuse. Cette reconnaissance, comme chez les féministes marxistes qui la revendiquaient pour la femme au foyer dans les années 1970, est loin d’être une fin en soi. Elle est posée au contraire comme la première étape d’une réappropriation politique du travail et de l’inscription des travailleuses reproductives dans la classe laborieuse[10].

Pour donner à voir, de manière brute, les différentes caractéristiques de ce mouvement, nous reproduisons ici le flyer « Montréal, Whoreganize ! » diffusé en 2019. Nous invitons également les lecteur·trices à lire, sur le site de la revue Ouvrage, le texte « travail du sexe, répression et pandémie » publié par Adore Goldman en juin 2020 (https://www.revue-ouvrage.org/travail-du-sexe/) et le texte « Montreal, whoreganize ! » publié par le CATS le 20 septembre 2021 https://www.revue-ouvrage.org/montreal-whoreganize/

Flyer d’invitation à la toute première rencontre du CATS


[1] Jean-Pascal Higelé, « Crise sanitaire et salariat. Ce que le confinement révèle des formes d’institution du travail », Salariat. Revue de sciences sociales, no 1, 2022, p. 27-37.

[2] Silvia Federici, Wages Against Housework, Bristol, Falling Wall Press and the Power of Women Collective, 1975. Pour aller plus loin sur Federici, cf. Maud Simonet, « Silvia Federici d’hier à aujourd’hui, une théorie pour l’action », Cahiers du Genre, vol. 73, no 2, 2022, p. 177-207.

[3] Silvia Federici, op. cit., p. 8.

[4] Collectif, Grève des stages, grève des femmes. Anthologie d’une lutte féministe pour un salaire étudiant (2016-2019). Québec, Éditions du Remue-Ménage, 2021. Voir la rubrique “Lecture” de ce numéro pour une recension de l’ouvrage par Alice Caudron.

[5] Ibid., p. 383.

[6] Ibid., p. 388.

[7] Louise Toupin, « les luttes des CUTE sont filles du mouvement du salaire au travail ménager », in Collectif, op. cit., p. 105.

[8] https://issuu.com/cute-mv/docs/cutemag5f__1_

[9] https://cats-swac-mtl.org/wp-content/uploads/2023/01/Zine3-FR-_recovered.pdf

[10] Cf. Maud Simonet « “Wages for”. Une approche féministe du salaire comme puissance subversive », Salariat. Revue de sciences sociales, vol. 1, no 1, 2022, p. 87-100.